Lady Macbeth de Mtsensk (30/01/09)

Publié le par SuperGarfield

Dmitri Chostakovitch : Lady Macbeth du District de Mtsensk
Choeur et orchestre de l'Opéra national de Paris
Direction : Harmut Haenchen
Direction du choeur : Winfried Maczewski
Mise en scène : Martin Kusej

Boris Timofeevitch Ismailov : Vladimir Vaneev
Zinovy Borisovitch Ismailov : Ludovit Ludha
Katerina Lvovna Ismailova :
Eva-Maria Westbroek
Serguei :
Michael König
Aksinya/La Bagnarde :
Carole Wilson
Le Balourd Miteux
: Alexander Kravets
Sonietka : 
Lani Poulson
Un Maître d’école :
Valentin Jar

Un Pope : Alexandre Vassiliev

Le chef de la police/ un officier : Nikita Storojev


Paris, Opéra Bastille, vendredi 30 janvier 2009


 

Emmaïlova Bovarisova


C'était l'événement de ce mois de janvier, ou du moins, de NOTRE mois de janvier. Double événement, même : j'avais mis en péril mon compte en banque afin d'offrir de bonnes places à mes parents, mon frère et sa copine, et évidemment Magicalme. J'attendais donc avec impatience cette production qui a fait date dans l'histoire de l'opéra de Chostakovitch, la connaissant déjà par le biais du DVD, et espérant qu'elle aurait de l'impact sur ma famille qui ne s'y connaît point en opéra.

Je disais que cette production ferait date dans l'histoire de Lady Macbeth de Mtsensk, alors même que j'ai découvert l'oeuvre par ladite production et ne la connaît de nulle part ailleurs : étrange, non ? Eh bien, non : même sans connaître l'oeuvre, il m'a paru évident qu'il serait difficile de surpasser une telle mise en scène, doublée d'une telle distribution. Le plus frappant, c'est bien sûr cette violence crue qui habite d'un bout à l'autre la production de Martin Kusej : que ce soit de manière parfaitement visible (le sexe, l'humiliation, le meurtre, l'adultère) ou de manière plus détournée (la formidable ambiance malsaine qui se dégage sans arrêt), la violence est partout, à chaque instant, choquant, gênant, surprenant le spectateur. Toutefois, ce qui fait la force de cette mise-en-scène est qu'elle ne se borne pas à être crue pour le seul plaisir de l'être : d'une part, le livret l'exige plus ou moins (difficile de ne pas mettre en scène le "viol", par exemple) ; d'autre part, cette âpreté constante est d'une force qui dépasse le simple pouvoir des images, et installe une ambiance délétère qui ne peut que trouver son dénouement dans la mort (en l'occurrence, quatre !).
Côté décors, c'est formidable de sobriété et d'efficacité : les deux premiers actes figurent en lieu et place de la maison une grande cage en plexiglas, avec portes coulissantes face au public, le tout entouré de terre. Le troisième acte voit se succéder antre de la police (salle des douches, avec plastiques pendant du plafond) et salle des mariages (une simple table pleine d'invités). Enfin, le dernier acte situe le goulag dans un vaste échafaudage, où les prisonniers s'entassent dans des conditions insalubres (le sol est plein d'eau, le livret indiquant la proximité d'une rivière). Et tout autour, du début à la fin, une gigantesque palissade de bois, qui enferme quoiqu'il arrive les protagonistes dans une périmètre d'où ils ne sortent pas : celui de la déchéance humaine.
Le reste de la partie visuelle est absolument formidable. Les costumes sont excellents : ouvriers en bleu de travail, policiers en cuir noir, Zinovy en chandail, Boris en costard-cravate et surtout Katerina tour à tour en peignoir de soie, en nuisette ultra-courte et décolletée, robe rouge superbe et robe de mariée d'une blancheur éclatante. L'héroïne, dans ces tenues pour le moins attirantes, libère un sex-appeal (auquel n'est pas étrangère Eva-Maria Westbroek), tandis que les hommes inspirent plus le rire ou la pitié, avec un Sergueï en caleçon et marcel, ou des invités particulièrement débraillés et bedonnants.
Il faut également citer tous ces effets spéciaux "du feu de Dieu" (dixit mon frère), entre le stroboscope durant l'acte amoureux, les personnages montant aux murs pendant l'hallucination de Katerina et la prison qui émerge du plateau,... les idées purement scéniques : les policiers inspectant sans arrêt le toit de ladite prison, Katerina qui collectionne les chaussures pour tromper son ennui, l'utilisation très fine et astucieuse des portes de la cage de plexiglas,... Côté direction d'acteurs, rien n'est laissé au hasard, des déplacements jusqu'à la gestuelle, tout est calculé pour avoir le plus d'impact possible. Il n'y a guère que la scène de la prison qui semblait tourner un peu à vide par moments, les choristes usant d'attitudes voyantes pour ne pas rester plantés à ne rien faire, détournant malheureusement l'attention des solistes : un peu contre-productif pour le coup.
Bref, côté mise-en-scène, la réussite est absolue, totale, la force de cette production résidant dans un langage sans détour, mais sans ostentation non plus. Les rares aménagements du livret ne gênent en rien la compréhension de l'histoire, et s'inscrivent dans un tout absolument extraordinaire qu'Opus Arte a été bien inspiré de préserver lors de la création en Hollande.



Musicalement, le DVD nous promettait des sommets, vu que la distribution était la même ou presque lors de sa reprise à Bastille. Eva-Maria Westbroek fut aussi excellente qu'à Amsterdam : de sa voix magnifique, elle tira des couleurs, des inflexions d'une force et d'une justesse incroyables. S'ajoutent à cela le jeu scénique stupéfiant d'engagement et de naturel (combien elle semble porter en elle une immense souffrance, derrière une façade apparemment sereine !) et un physique qui me retourne toujours autant : avec sa coupe à la Monroe, blondeur incluse, sa beauté naturelle, son allure ni trop mince, ni trop grosse, et l'érotisme qui se dégage sans arrêt d'elle, elle incarne une Katerina oscillant entre candeur et tentation, allumant parfois volontairement les hommes (le baiser à Boris, la scène avec les ouvriers,...), mais toujours amoureuse de Sergueï, trahie finalement par l'idée fausse qu'elle se faisait de l'amour et contrainte à la mort (dans le livret, la noyade, chez Kusej, le suicide), à la manière d'une Emma Bovary.
En Sergueï, nous n'avions pas l'extraordinaire Christopher Ventris comme à Amsterdam, mais Michael König. Si ce dernier ne délivre pas autant de bestialité brute que son prédécesseur, il s'avère tout de même excellent dans le rôle de ce séducteur invétéré : chant puissant, incarnation sans failles, avec ce côté grinçant et vicieux qui rappelle finalement Don Juan (ce dernier n'étant toutefois jamais amoureux, bien qu'avec König, je me sois surpris à douter de la véracité de l'amour de Sergueï).
En Zinovy Borisovitch, Ludovit Ludha est excellent : il joue à merveille le rôle de ce petit marchand veule et lâche, illustration idéale du minable, du nabot. Son rôle court montre un chanteur à la voix quelconque mais à l'engagement notable et la projection plus que correcte.
Vladimir Vannev est aussi crédible en beau-père vicieux que sur le DVD. Son physique naturellement intimidant, son chant pas toujours très puissant mais plein et juste, son jeu subtil et inquiétant, tout concourt à en faire un des personnages-clé de la production, recevant d'ailleurs une ovation bien méritée.
Les seconds rôles n'affaiblissent pas le moins du monde le haut-niveau de la distribution. Si Alexender Kravets est un peu court en alcoolique, son engagement net et son jeu caricatural comme il faut compensent ses faiblesses vocales. Alexender Vassiliev est un Pope lubrique, alcoolique, incompétent, et surtout très amusant dans sa médiocrité. Nikita Storejev est un chef de la police inquiétant, dans son uniforme tout en cuir noir, basse sombre et puissante, incarnant avec intelligence ce personnage repoussant de fatuité et d'orgueil. Enfin, mention spéciale à Lani Poulson, Sonietka étrange (elle ressemble à Morticia Adams !), détestable au bout de deux minutes, prisonnière provocatrice et fière ; et à Carole Wilson, Aksinya touchante, malmenée par les hommes, et Bagnarde piailleuse et railleuse.

Les choeurs de l'opéra de Paris sont excellents, tant dans la qualité vocale, que l'homogénéité d'ensemble (quelle scène finale !) et la mobilité scénique. A la tête de l'orchestre de l'Opéra, Harmut Haenchen cisèle, sculpte, fouette la partition, et si on n'atteint pas les délires musicaux du Concertgebouw d'Amsterdam sous la direction de Jansons, c'est du très haut niveau, et cela fait plaisir d'entendre un orchestre français sonner de la sorte ! Les solos sont d'une beauté irréprochable et l'ensemble est d'une grande cohésion, avec des cordes très homogènes et des vents d'une richesse de timbres qui égale le Concertgebouw. L'orchestre sonne très bien, sans forcer, ni sans se brider : tout est excellement équilibré entre le plateau et la fosse.

Au final, une soirée formidable, que je suis bien content de ne pas avoir raté, tant j'ai le sentiment qu'elle restera gravée longtemps dans ma mémoire.



Publié dans Musique classique

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S
C'est donc là que provient ton avatar! ;-)
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