Les Enfants Terribles (14/02/09)

Publié le par SuperGarfield

Philip Glass : Les Enfants Terribles
(d'après l'oeuvre de Jean Cocteau)
Véronique Briel, Stéphane Petitjean, Vincent Leterme : pianos et direction musicale
Mise en scène : Paul Desveaux

Dargelos, Agathe : Muriel Ferraro
Elisabeth : Myriam Zekaria
Gérard : Damien Bigourdan
Paul : Jean-Baptiste Dumora

Paris, Théâtre de L'Athénée - Louis Jouvet, samedi 14 février 2009



C'était la deuxième fois que nous voyions ce spectacle, présenté l'année précédente au Théâtre 71 de Malakoff. A l'époque, il nous avait fait forte impression, tant grâce au livret qu'à la musique et à la mise en scène. Nous avons failli rater un des rares passages d'une oeuvre de Glass à Paris, mais fort heureusement, nous sommes parvenus à acheter deux des trois dernières places restantes pour la dernière représentation, et nous avons ainsi pu revivre ce moment qui nous avait tant marqué.

Ce qui fait la force de cet opéra, c'est tout d'abord son livret, d'une richesse incroyable. L'intrigue de Jean Cocteau gravite autour de deux frère et soeur à la fin de l'adolescence, Paul et Elisabeth, liés par un amour fusionnel ("sans aucun gêne", nous dit le narrateur), et s'adonnant à ce qu'ils nomment "le jeu", c'est-à-dire une immersion simultanée dans un univers parallèle, auquel seuls eux ont accès. Auprès d'eux, Gérard, narrateur de l'histoire, amoureux d'Elisabeth, tente de s'immiscer dans leur intimité, ce qu'il parvient à faire finalement, lorsqu'arrive Agathe, chargée d'apprendre le métier de modèle à Elisabeth. Ils emménagent ensemble dans la grande maison du richissime nouveau mari d'Elisabeth, qui se tue en voiture le lendemain de leur mariage. Se forme alors un microcosme dans lequel les quatre personnages évoluent, avec le traditionnel lot d'amour, de haine et de jalousie. Ainsi, Gérard est toujours amoureux d'Elisabeth, Paul quant à lui aime Agathe passionément, qui le lui rend bien, sans que chacun soit au courant des sentiments de l'autre.
Cette situation de base donne lieu à de formidables portraits psychologiques. Il faut citer tout d'abord la relation quasi incestueuse de Paul et Elisabeth, mus par un amour et une complicité troublants dont on ne discerne pas bien les contours. Leur "jeu" symbolise le monde de l'enfance, l'innocence du frère et de la soeur ; on apprend toutefois au cour de la pièce que "le jeu" est similaire aux effets de la drogue qu'Agathe consomme régulièrement.
Le statut sexuel de Paul est lui aussi particulièrement flou : ce dernier ne semble pas aimer un sexe mais une personne. Ainsi, on s'étonne qu'au début de la pièce, lorsque l'élève nommé Dargelos lui lance un pavé dans la poitrine, Paul prenne sa défense. Plus tard, on comprend grâce à la photo de ce même Dargelos que Paul caresse amoureusement, qu'il en est amoureux. Et lorsqu'Agathe s'immisce dans sa vie, il en tombe pareillement amoureux, puisqu'Agathe est... le portrait craché de Dargelos.
Le personnage le plus riche, et qui domine la pièce est sans aucun doute Elisabeth, soeur jalouse et dominatrice, profitant de la faiblesse naturelle de Paul pour se jouer de lui à plusieurs reprises, et le mener selon son bon vouloir. Ainsi, lorsqu'elle apprend que Paul et Agathe sont amoureux l'un de l'autre, elle met tout en oeuvre pour empêcher qu'ils l'apprennent, ne supportant pas que Paul s'éloigne d'elle pour une autre. Sa machination finale n'est pas sans rappeler la Marquise de Merteuil des Liaisons Dangereuses, supposément insensible, mais dont on comprend finalement l'amour qu'elle porte à Valmont.
Cette sombre histoire mène Paul à s'empoisonner en pensant ne pas être aimé d'Agathe, et Elisabeth à menacer de mort cette dernière pour finalement... se tirer une balle dans le crâne. Cette fin abrupte n'est le que le seul prolongement possible de l'inexorable sortie de l'enfance des deux frère et soeur : la mort de leur mère, le travail et le mariage d'Elisabeth, leur éloignement progressif, les premiers sentiments amoureux,... Si l'on ajoute à cela l'intrusion dans leur monde de deux autres personnes, la seule issue s'offrant à eux lors de leur passage à l'âge adulte est bien la mort, leur esprit éternellement enfantin ne supportant pas un tel changement.

Sur ce livret que certains critiques ont trouvé ampoulé, sans intérêt, et que je considère simplement comme extrêmement riche, Philip Glass a posé une musique intimiste et relativement sobre. Il faut dire que le choix de trois pianos électriques n'est pas anodin, et que l'absence de variation de timbres permet une grande continuité dans la musique, et unit la trame d'un bout à l'autre de l'histoire. Musicalement, notre Philounet s'est trouvé bien plus inspiré qu'à l'accoutumée, variant bien plus les rythmes, les couleurs harmoniques que dans ses partitions alimentaires si fréquentes, malheureusement. Bon, évidemment, il fait du Philip Glass, et on retrouve toujours ses arpèges, ses batteries de tierces ou d'octaves, mais le tout est ficelé de manière plus réfléchie et mieux organisée que lorsqu'il compose sans réfléchir d'improbables B.O. de films.



Côté vocal, le plateau est satisfaisant. Damien Bigourdan, dans le rôle de Gérard, convainc parfaitement lors de la narrtion, avec une diction naturelle et franche. En revanche, lorsqu'il se met à chanter, c'est nettement moins probant, tant il semble fâché avec la justesse, pourtant pas l'élément le plus difficile de la musique de Glass. Reste la diction limpide du français. Myriam Zekaria est une Elisabeth très convaincante et bien chantante, en dépit d'aigus un peu serrés et criards. L'articulation du texte est parfois un peu prise en défaut, mais c'est tout à fait intelligible dans l'ensemble. Muriel Ferraro est une Agathe puissante, au timbre chaud et plein, et à la diction impeccable. Celui qui s'avère le meilleur élément du plateau est sans aucun doute le baryton Jean-Baptiste Dumora, disposant à la fois d'une présence scénique de premier ordre, d'un jeu d'acteur parfaitement convaincant, d'une voix pleine et puissante, d'une justesse sans faille, et d'une prononciation de la langue parfaite de bout en bout.
Les trois pianistes servent avec précision la partition, et Dieu sait si c'est important dans la musique de Philip Glass ! Ca nous change des interprétations floues et brouillonnes du compositeur lui-même !

La mise en scène de Paul Desveaux, si elle a fait moins forte impression que l'année passée, est très bien réglée : sans temps mort, avec des interludes dansés tout à fait à leur place, et assez troublants, le tout dans un décor sobre, dépouillé, avec un joli fond de scène (où les pianistes jouent installés entre des arbres) et un sable vert sur tout le sol. On peut juste regretter que l'espace clos de la chambre n'ait pas été mieux représenté sur la scène, où le côté trop ouvert ne rend pas suffisamment compte du huis-clos dans lequel s'enferment les quatre protagonistes.

Un beau spectacle en somme, malgré quelques scories parfois préjudiciables à la réussite d'ensemble.

Publié dans Musique classique

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S
Ah et j'ai oublié de dire que je trouvais que Glass mettait très bien le français en musique. On sent qu'il parle cette langue couramment !
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S
Exact, c'est corrigé.<br /> <br /> Concernant l'impact du spectacle cette fois-ci, je suis bien d'accord que cette fois-ci, c'est un peu tombé à plat... D'ailleurs, le public a mis du temps à applaudir, et de façon assez modérée, alors qu'à Malakoff, l'enthousiasme était nettement plus palpable !
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M
Deuxième paragraphe, cinquième ligne, il s'agit plutôt d'Elisabeth, non?<br /> <br /> Dommage que cette deuxième vision ait été plus décevante... La fin avait l'air beaucoup plus fouillis cette fois-ci! Peut-être le fait que la distribution a été modifiée entre les tournées?<br /> <br /> Mais cela dit, c'est vrai que cette œuvre reste tout de même très forte!
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